Rouge colère, rouge sang

[ouvert à qui veut...]


Après sa rencontre pour le moins énergique avec Jaileena, Ryssa avait mis quelques jours à s’en remettre. Non pas qu’elle eut été blessée mais cela lui avait rappelé son passé douloureux. Lorsque son tuteur rentra de voyage, il trouva donc la jeune fille emmitouflée au fond de son lit et rien de se que l’homme put dire ne parvint à faire sortir Ryssa de son cocon de mélancolie. Bien entendu, le marchand ne manqua pas d’interroger ses domestiques sur ce qui s’était passé durant son absence mais aucun d ne fut en mesure de l’éclairer sur le mal être de sa protégée.

Puis un jour, sans crier gare, Ryssa sortit de sa chambre et annonça de but en blanc à son tuteur qu’elle allait partir. Le pauvre homme manqua de s’étrangler avec son café qu’il était occupé de siroter et regarda la jeune fille avec beaucoup d’incompréhension avant de lui demander les raisons d’un tel choix. Pour toute réponse, Ryssa haussa les épaules et lui répondit que ce n’était pas ses affaires. Ce fut là, la dernière fois que son tuteur la vit.

Quelques heures plus tard la jeune fille avait jeté quelques vêtements dans une besace, récupérer ses économies et avait claqué la porte de la demeure pour partir à l’aventure. Elle erra au hasard pendant plusieurs jours jusqu’à ce qu’elle arrive sur les grandes plaines. Face à ce paysage, un profond sentiment de colère monta en elle. En effet, c’était en ces lieux que sa famille avait perdu la vie huit années auparavant!

Les poings serrés et le cœur battant à tout rompre, la jeune fille continua sa route jusqu’à un vieil arbre mort. Sans mot, elle posa sa main sur l’écorce et se mit à le caresser lentement. Soudain, elle s’effondra sur le sol en pleurant à chaudes larmes.

« Mais pourquoi !!!! »

Hurla-t-elle dans le silence environnant avant de se remettre à pleurer de plus belle.

Léon venait de quitter la ville et d’atteindre les grandes plaines. Après plusieurs heures de marches, le jeune Kemos épuisé décida de faire une halte. Il avait faim mais il n’avait rien à manger. Il s’assit en tailleur à même le sol, ouvrit sa gourde et la porta à ses lèvres, il ne put boire que trois gorgées d’eau avant que celle-ci ne soit vide… Le jeune Kemo la tourna et tenta d’obtenir quelques gouttelettes mais sans succès.

Le jeune garçon se résigna à accepter le fait qu’une fois de plus, il n’avait plus de vivre. Il referma sa gourde et la rangea dans sa besace. Léon laissa son regard se perdre dans le paysage. L’envie de dessiner le démangeait mais il n’avait rien sous la main qui lui permit d’assouvir son désir. Le temps passait, le vent soufflait doucement faisant jouer ses mèches argentées. Ses cheveux avaient d’ailleurs poussés mais Léon ne s’en était pas aperçu… La seule chose dont il s’apercevait, s’est qu’il était seul et qu’il ne trouvait pas ce qu’il cherchait. Comment trouver le moyen d’atteindre les étoiles ? Tant qu’il n’aurait pas trouvé la réponse à cette question, il ne saurait pas comment rejoindre sa famille…

Il leva alors les yeux vers le ciel clair dans lequel les nuages défilaient paisiblement. Il se remémora les jours heureux où parfois, il se couchait dans l’herbe fraîche avec sa sœur, derrière la maison et qu’ils observaient les nuages.

« Regarde celui-ci, on dirait un petit lapin ! Oh ! Et celui-là un écureuil ! Regarde Léon, tu vois ? »

Le jeune garçon suivait des yeux la direction que désignait l’index de Camélia pointé vers le ciel.

« Oui, je vois. » avait-il finit par dire après un moment.

Mais aujourd’hui, Léon était seul à observer les nuages…

« Camélia… » murmura-t-il.

Ses paupières se fermèrent lentement, bercer par le bruit du vent, le jeune Kemos commençait doucement à s’endormir lorsqu’un cri plus ou moins lointain se fit entendre. Il ouvrit les yeux et regarda alentour. Il n’avait entendu que le cri mais n’avait pas compris les mots articulés.

Le jeune garçon se redressa et se dirigea dans la direction d’où lui était parvenu le bruit. Au fil des pas, il ne tarda pas à remonter à sa source. Il vit une jeune femme dont le visage était noyé de larme. Léon ne dit rien mais il resta debout, à l’observer à une distance respectable. Puis il s’approcha doucement d’elle en lui tendant un mouchoir afin qu'elle puisse sécher ses larmes.

Toute à sa douleur, Ryssa n’entendit pas Léon approcher. Aussi sursauta-t-elle vivement quand un mouchoir apparut soudainement devant ses yeux. Une main sur la poitrine pour en calmer les battements irréguliers, elle leva son visage baigné de larmes et tomba sur les prunelles changeantes d’un jeune homme. Décidemment, elle allait de surprise en surprise depuis qu’elle avait quitté la ville! Elle hésita un instant puis se saisit du carré de tissu tendu par l’inconnu et s’essuya énergiquement le visage.

« Merci »

Dit-elle simplement en triturant le mouchoir entre ses doigts. Il faut dire que ça faisait bien longtemps qu’une personne ne s’était pas soucié de son bien être en dehors de sont tuteur bien entendu… Elle secoua doucement la tête pour chasser ses souvenirs douloureux et esquissa un petit sourire forcé.

« Je m’appelle Ryssa… Et toi? »

Poursuivit-elle en lui tendant la main en guise de remerciement.

Léon ne répondit pas au remerciement de la jeune femme qui s’était saisit du mouchoir qu’il lui tendait et avait sécher ses larmes. Le jeune garçon aurait souhaité lui lancer un sourire réconfortant mais il n’y parvenait pas. Pourquoi n’arrivait-il pas à sourire ? Pourquoi n’était-il jamais parvenu à réaliser ce geste anodin ?

La jeune femme secoua doucement la tête avant de lui sourire en lui apprenant qu’elle s’appelait Ryssa.

« Ryssa... » répéta-il pour mémoriser son nom.

« Et toi ? » enchaîna-t-elle.

Le jeune Kemos mit un certain temps à répondre.

« Je m’appelle Léon. »

Il articulait lentement et parlait d’une voix douce. Il observa un moment la main que lui tendait Ryssa avant de doucement tendre la sienne pour la lui serrer comme ses parents le lui avaient autrefois apprit.
Léon observa longuement la jeune femme tentant d’éclaircir sa pensée avant d’enfin formuler sa question lentement:

« Toi aussi tu pleures parce que tu as perdu quelqu’un et que tu es seule ? »

Léon, lui, n’avait jamais eu d’autres raisons de verser des larmes jusqu’au jour où toute sa famille a été anéantie, à présent la vie lui semblait avoir perdu ces couleurs et il ne vivait plus que dans l’espérance de les retrouver là où ils étaient partis. Mais comment s’y rendre ?

Sur le coup, Ryssa crut qu’elle avait vexé le jeune homme d’une façon ou d’une autre car celui-ci ne semblait pas vouloir décliner son identité. Puis, alors qu’elle commençait à s’inquiétait sur une éventuelle maladresse, il lui répondit qu’il se nommait Léon. Sa voix était si douce que la jeune fille faillit en avoir la cœur tout retourné. C’était tellement inattendu de rencontrer une pareille personne au beau milieu de nulle part…
A nouveau, le silence s’installa entre eux. Tenant toujours la main du garçon, Ryssa se releva tranquillement et se dressa devant lui. La question suivante la désarçonna un peu. Certes elle était en train de pleurer des êtres chers disparus mais ce fut surtout la franchise flagrante de son interlocuteur qui la surprit. Un peu comme si elle avait devant elle un jeune enfant.
Ryssa esquissa un autre sourire, plus franc cette fois et hocha doucement la tête de côté.

« Oui…Tu as deviné…Cet endroit me rappelle tant de mauvais et douloureux souvenirs! Et apparemment je ne suis pas la seule, hein? »

Expliqua-t-elle en désignant d’un mouvement de bras l’étendue autour d’eux.

« Mais toi? Que fais-tu ici? Tu es perdu? »

Reprit-elle en changeant de sujet de conversation. C’est qu’elle n’aimait pas s’apitoyer sur son sort et il fallait bien avouer que Léon avait réussi à piquer sa curiosité.

Ryssa se redressa sans se presser et lui fit face. Léon eut du mal à saisir sa première phrase qu’elle avait lâché d’un débit bien trop rapide pour lui et il n’eût pas le temps de faire le point dans sa tête que déjà elle lui posait d’autres questions. Le jeune Kemos mit un moment à répondre d’abord pour bien saisir le sens de la phrase ensuite pour choisir les mots qui exprimerait le mieux sa réponse. Il hocha doucement de la tête :

« Je suis perdu. Je veux rentrer à la maison mais je n’ai plus de maison et ma famille est au ciel, je suis tout seul ici. »

Le jeune garçon parlait doucement ses yeux changeants incessamment de couleurs fixant le sol. L’image de sa maison lui revint en mémoire comme si souvent ! Des larmes longèrent les joues du Kemos tandis qu’il revoyait sa mère disposer les bols pleins d’un bon potage chaud sur la table en bois massif.

- Hmm !! C’est délicieux maman ! Tu es vraiment une excellente cuisinière ! s’était exclamée Camélia.
- Merci ma chérie mais tu sais Léon m’a aidé à couper les légumes lui aussi ! N’est-ce pas mon chéri ?

Léon avait doucement acquiescé, sa mère était venue poser un baiser sur son front en le remerciant avant d’aller s’installer. Tous se souhaitèrent bon appétit avant de commencer à manger.

Penser à manger raviva la faim du garçon dont le ventre se mit à gargouiller mais la faim du garçon n’était rien à coté de sa peine.

« Je veux retrouver ma famille, je veux aller au ciel moi aussi. Pour ne plus être seul. » dit-il en plantant ses yeux brouillés de larmes dans ceux de son interlocutrice.

Mais malheureusement, il le savait bien, elle ne pouvait rien pour lui tout comme Jaïleena et Mizuki ne pouvaient rien faire pour lui.

Une nouvelle fois, le silence s’installa un bon moment avant que le garçon ne vienne répondre à sa question. Ryssa fronça légèrement les sourcils. A croire qu’il prenait un malin plaisir à la faire poireauter… Elle commença à tapoter nerveusement le sol de son pied droit, signe qu’elle s’impatientait. A cet instant, Léon se mit à lui répondre et des larmes roulèrent le long de ses joues.

Mal à l’aise, Ryssa oublia son mécontentement. Elle connaissait bien cette douleur, ce sentiment d’être abandonné de tous, cette sensation d’étouffement. Doucement, elle passa ses bars autour des épaules du garçon et entreprit de le réconforte un peu.

« Là. Arrête de pleurer. Ce n’est pas en versant des rivières de larmes que ta famille reviendra, tu sais. »

Commença-t-elle un peu sèchement. Puis ses propres souvenirs lui revinrent en mémoire. Ces visages tant aimés. A son tour, une larme coula le long de son visage.

« Tu sais…moi aussi, ma famille est au ciel. »

Continua-t-elle d’un ton moins sur.

« Avec le temps, je pensais ne plus souffrir de leur absence mais j’ai eu tort. En revenant ici, j’ai compris que c’est une blessure qui ne se referme jamais. Tout au plus, elle s’atténue peu à peu. »

La jeune fille soupira.

« On est en quelque sorte pareil toi et moi! »

Conclue-t-elle en s’écartant doucement de Léon.

Lorsque Ryssa le prit dans ses bras pour le réconforter, Léon ferma les yeux et se laissa aller. Cette étreinte lui fit du bien, elle lui rappelait les étreintes affectueuses de sa tendre mère et de sa chère sœur. Son père avait toujours été le plus distant, moins câlin, mais cela ne signifiait pas qu’il ne l’aimait pas. Parfois, il posait sa main sur son épaule ou bien lui ébouriffait les cheveux, le regard débordant d’amour pour son fils.

Après un long moment de silence, le jeune garçon ayant assimilé les paroles de la jeune femme, acquiesça doucement et murmura :

« Oui, nous sommes pareil… Camélia disait ça elle aussi : ‘Nous sommes tous pareil, les Kemos comme les Jin’ ou les Neutres, nous partageons les mêmes souffrances’. »

Il se tut, prêtant l’oreille au souffle du vent qui secouait les branches et les feuilles des arbres environnant, offrant une agréable mélodie. Léon rouvrit lentement ses yeux vairons et les leva au ciel. Le vent avait séché les larmes sur son visage.

« Je vais retourner là où je suis né, je vais retourner à Kemonia près de la forêt… »

Le jeune garçon parlait lentement comme à son habitude mais résolument. Jusqu’à présent, Léon n’avait fait que tourner en rond, il avait découvert les terres Neutre et surtout, il avait découvert la ville et il ne l’aimait pas. Il ne savait pas où aller et il ne savait pas ce qu’il ferait une fois à Kemonia mais ne serait-ce que revoir les paysages familiers lui procurerait sans doute du bien, peut-être…

« Mais je ne sais pas par où je dois aller… » avoua-t-il en baissant les yeux.

Son ventre gargouilla. C’est vrai qu’il n’avait pas encore mangé et trouver de quoi manger c’était avéré difficile depuis qu’il errait seul. Le jeune Kemos avait maigri et s’était affaiblit pourtant il ne cessait d’avancer sans relâche dans l’espoir d’atteindre son but.

Lorsque Léon lui dit qu’ils étaient tous pareils, les Jin’, les Kemos et les neutres, Ryssa eut du mal à retenir une petite grimace. Mais face à la naïveté du garçon, elle ne put lui en tenir rigueur. Elle le regarda simplement, lever la tête vers le ciel et admira la couleur changeante de ses yeux.

« Quelle étrange chose … »

Murmura-t-elle à mi-voix. C’est alors que Léon émit l’intention de retourner chez lui à Kemonia. Cette révélation eut l’effet d’une douche froide pour la jeune fille. Elle ouvrit de grands yeux surpris tandis que son visage palissait à vue d’œil. L’espace d’un instant, elle crut que le ciel lui tombait sur la tête et que le garçon s’était bel et bien moqué d’elle.

« Comment ça, Kémonia? »

Questionna Ryssa d‘un ton incrédule. La surprise était telle qu’elle n’avait pas entendue la dernière interrogation du gamin. Elle se contentait de le détailler de haut en bas, les poings serrés d’une colère grandissante.

« Dis-moi…Tu es réellement un Kémos? »

Pour la jeune fille, rien d’autre n’avait d’importance. Leur douleur commune était déjà oubliée laissant place à un sentiment de trahison et d’amertume. Elle fit un pas vers Léon, l’attrapa par le col et l’attira à hauteur de son visage.

« Tu vas me répondre, oui!…Tu es vraiment un Kémos? »

Même si le ton employé était sec et blessant, Ryssa sentait sa détermination fondre au fur et à mesure qu’elle plongeait ses yeux dans ceux du garçon. C’était comme une sorte d’hypnose. Une étrange et agréable hypnose. Peu à peu, la poigne de la jeune femme se desserra et son bras finit par retomber le long de son corps. Comment résister? Elle n’en savait rien mais ce dont elle était certaine, c’est que Léon ravivait en elle des souvenirs qu’elle croyait enfouis à jamais!

Le jeune garçon n’avait pas comprit le subit changement de ton de la jeune femme. Il mit un moment à bien comprendre ce qu’elle lui disait, il s’apprêtait à répondre mais elle le prit soudainement par le col et rapprocha son visage contre le sien.

Le jeune Kemos perdit ses moyens de locutions et se mit à trembler, jamais il n’avait été traité ainsi et il ne comprenait pas la raison pour laquelle Ryssa c’était fâchée. Il n’avait pourtant, à sa connaissance, rien fait de mal. Alors pourquoi ce changement d’attitude ?

La jeune femme fixa ses yeux changeants de couleurs pendant un moment puis finit par le lâcher. Le jeune garçon s’accroupit et se recroquevilla sur lui-même, complètement chambouler, il se mit subitement à se balancer doucement d’avant en arrière, les mains plaquées contre ses oreilles.

« Léon le caméléon, Léon est un Kemos… » répétait-il doucement comme s’il s’était agit d’une incantation.

Puis subitement, il redressa la tête et planta ses yeux larmoyants dans ceux de son interlocutrice.

« Pardon… Léon est un Kemos et je ne savais pas que c’était mal. » dit-il sincèrement désolé.

Léon dans son univers fermé ne comprenait pas réellement ce que signifiait être Kemos, Jin’ ou Neutre. Il savait que les Kemos pouvaient se transformer en animal, que les Jin’ maîtrisaient un élément et que les Neutres étaient des métis entre les Kemos et les Jin’ et qu’ils ne possédaient pas de pouvoirs mais il ne savait pas pourquoi ils ne s’entendaient pas tous entre eux, il ne savait pas non plus qui étaient les gentils ou les méchants. Léon savait qu’il était un Kemos mais il n’en avait pas réellement conscience, il le disait par automatisme parce qu’on le lui avait apprit mais c’est tout.

Le garçon baissa à nouveau sa tête et s’enferma dans sa bulle, il se remit à se balancer doucement d’avant en arrière en chantonnant doucement une berceuse que lui chantait sa mère pour l’aider à s’endormir. Perdu dans son monde imaginaire, Léon oubliait qu’il avait faim, qu’il avait froid, qu’il était seul et qu’il était un Kemos…

Indécise et perturbée, Ryssa restait planté là devant Léon. Elle regardait le Kemos se balancer en répétant comme une litanie « Léon le caméléon, Léon est un Kemos… ». Bien sur, elle comprenait la peur qu’elle engendrait par ses réactions mais là, elle était face à une énigme. Ce garçon ne faisait décidément rien comme les autres. Elle se surprit à avancer sa main pour le réconforter mais la retira tout aussi vite. Si elle se mettait à avoir de la pitié pour l’ennemi, c’est qu’elle était bien plus atteinte qu’elle ne le pensait! Le coup de grâce vint par les yeux larmoyants et la bouche de Léon.

« Pardon… Léon est un Kemos et je ne savais pas que c’était mal. »

Sans qu’elle puisse contrôler quoi que ce soit, le corps de Ryssa se mit à trembler tandis que des larmes coulaient en abondance le long de ses joues. Elle ne comprenait pas cette sensation de mal être qui l’envahissait ni cette irrépressible envie de réconforter le garçon. C’était comme si son coeur explosait en mille morceaux à chaque geste et à chaque parole de Léon.

Alors Ryssa resta là, les bras ballants et le cœur en berne face au Kemos. Elle resta là, ne sachant quelle attitude adopter. Partir et l’abandonner à son sort? Assouvir une énième fois sa vengeance? Ou tout simplement le réconforter et faire la paix avec sa douleur? Cette douleur. Cette horrible impression que tout votre être va se déchirer. Cette sensation de manque que rien ne peut combler. Oui. Ryssa connaissait très bien cela. Elle porta une main à son cœur meurtri. Elle revoyait le visage ensanglanté de son père, les yeux terrifiés de sa mère et les cris de son petit frère…

« AHHhhhh! »

Hurla-t-elle en tombant à genoux. Son frère. Si jeune, si gentil, si innocent comme … Léon. Soudain, Ryssa ouvrit de grands yeux interloqués. Elle venait enfin de comprendre. Léon, ce Kemos, il ressemblait tellement par certains aspects à son jeune frère. Elle releva la tête vers le garçon. Il n’avait pas bougé d’un pouce et fredonnait un air qui lui était inconnu. Face à cette détresse, Ryssa craqua.

« Léon… » murmura-t-elle dans un souffle.

Elle s’avança lentement à quatre pattes. La progression était ralentie par les tremblements de son être et sa vision troublée par les larmes qui n’avaient pas cessées. Finalement, elle parvint auprès du garçon, posa son front contre celui du Kemos et ses mains sur les siennes.


« Pardon Léon… Ce n’est pas de ta faute si tu es un Kemos… »

Elle marqua un petit silence avant de poursuivre.

« …Je…tu n’as rien fait de mal. C’est de ma faute. Ma faute à moi et à mes souvenirs douloureux »

Une larme glissa le long de sa joue et vont d’écraser sur le visage du garçon.

« Pardon Léon…Pardon…Pardon de tout mon cœur! »

Le jeune Kemos continuait de chantonner sans cesser de se balancer doucement. Il ne voyait ni n’entendait plus Ryssa jusqu’à ce qu’il ressentit son contact. La jeune femme s’était abaissée et avait prit les mains gelées du garçon. Les larmes de Ryssa se mélangèrent au sienne.

Léon releva la tête et la fixa sans mot dire pendant un long moment, le temps de bien assimiler tout ce que venait de lui dire Ryssa. Le temps aussi pour lui de trouver les mots qu’il allait employer.

« Ryssa a des souvenirs douloureux… Les souvenirs douloureux, ce sont les souvenirs qui font mal ? Ryssa a mal ici elle aussi ? Comme Léon ? Comme moi ? »

Le jeune garçon libéra en douceur sa main droite de la prise de Ryssa et la posa sur son cœur pour désigner à la jeune femme l’endroit où il avait mal puis il baissa les yeux et crispa ses doigts fins sur sa veste abîmée.

« J’ai mal là. Depuis… depuis que ma famille est partie au ciel. Depuis que maman, papa et Camélia m’ont abandonné. Je n’avais jamais eu mal là avant et ni maman ni Camélia ne m’a apprit à soigner ce bobo… Tu sais comment on le fait partir ce mal là, toi ? »

Il releva la tête, ses yeux implorants une réponse à Ryssa. Le vent souffla, le jeune Kemos frissonna de froid et par réflexe serra un peu plus sa veste contre lui de sa main libre, tenant toujours l’autre main de Ryssa. Le jeune garçon frigorifié se laissa doucement aller et posa sa tête sur l’épaule de la Neutre comme s’il s’était agit de sa mère.

« Je veux rentrer à la maison… » murmura-t-il enfin en fermant les yeux et tandis qu’il les fermaient, le jeune garçon aperçut furtivement sa maison tel qu’il l’avait vue pour la dernière fois avant qu’il ne doive y mettre le feu.

Ryssa ne sut combien de temps elle resta figée ainsi, son visage tout contre celui de Léon. Plus rien n’avait d’importance, plus de vengeance plus de Kemos ou de Jin. Juste cette lancinante sensation que son cœur allait exploser. Puis le silence se brisa. Léon bougea et se libéra de son étreinte avant de poser sa main sur son cœur. Doucement, Ryssa en profita pour essuyer ses larmes d’un revers de manche et observa le garçon.

« Oui… Moi aussi j’ai mal à cet endroit… »

Souffla-t-elle d’une voix basse. Mais le Kemos lui demanda un remède contre cette douleur, elle ne sut que répondre et baissa les yeux. La détresse de Léon la touchait bien plus qu’elle ne voulait se l’avouer. A un point où c’en était presque insupportable.
Un petit vent froid la ramena à la réalité. Ryssa frissonna également au contact de l’air sur sa peau et avant qu’elle ait eu le temps de répondre à Léon, ce dernier vint poser sa tête sur son épaule, comme un petit enfant cherche un réconfort auprès de sa mère. Instinctivement, la neutre leva sa main libre qu’elle vint déposer avec infinie douceur sur la chevelure du garçon.

« Moi non plus, je ne sais pas comment soigner cette douleur… »

Commença-t-elle. Elle marqua un temps d’arrêt durant lequel elle libéra sa main captive et vint la poser dans le dos de Léon puis peu à peu, elle accentua sa pression jusqu’à serrer le garçon dans ses bras. Alors, elle posa à son tour son visage contre l’épaule du Kemos.

« Moi…Moi, je n’ai plus de maison depuis tellement longtemps que je me souviens même plus à quoi elle ressemblait…Dis-moi, Léon…Et si on cherchait un remède à cette douleur ensemble? …Et si on se cherchait une maison rien qu‘à nous? »

Les yeux fermés, la tête toujours posée sur l’épaule de Ryssa qui se mit à lui caresser doucement les cheveux comme le faisait sa maman autrefois, le jeune Kemos revivait d’agréables souvenirs. Si agréable qu’il en oublia le froid et la faim.

Ryssa parlait plus doucement, sa voix était maintenant rassurante pas comme quand elle s’était fâché. Léon avait eu si peur… Il n’aimait pas quand on crie, il n’aimait pas quand on parle vite parce qu’il avait difficile à comprendre et qu’il mettait encore plus de temps pour répondre et que ça fâchait parfois les interlocuteurs impatients. Léon aimait bien qu’on lui parle doucement et d’une voix douce.

La jeune femme lui disait qu’elle non plus, n’avait plus de maison, qu’elle ne savait même plus à quoi elle ressemblait. C’était triste. Lui au moins avait la chance de se souvenir de sa maison. Est-ce parce qu’il l’avait tant dessinée ? S’il était lent, Léon avait néanmoins une mémoire visuelle surprenante même s’il ne s’en rendait pas spécialement compte.

Ryssa lui proposa alors de chercher une maison rien qu’à nous. Léon mit un moment avant de bien comprendre puis finalement il répondit avec sa lenteur habituelle :

« Une maison rien que pour nous, ça veut dire une nouvelle maison ? »

Le jeune garçon hésita, il avait du mal à essayer de s’imaginer une nouvelle maison. Le nouveau, l’inconnu lui faisait un peu peur. Est-ce que sa nouvelle maison serait près de la forêt comme l’autre et à Kemonia ? Mais se poser des questions le fatiguait et ne l’avançait pas. Puis il pensa que si ils avaient une nouvelle maison, alors il y ferait sûrement bien chaud, plus chaud que dehors. Il pourrait manger et dormir dans des couvertures, à l’abri du froid. Ainsi l’image de la chaleur d’une maison vint s’afficher dans son esprit.

« Il doit y faire bon dans cette nouvelle maison… » finit-il par murmurer tandis qu’il se l’imaginait.

Léon commençait à s’endormir, engourdit par le froid mais même s’il avait la mentalité d’un tout jeune enfant, il n’en avait pas moins le corps d’un jeune garçon de seize ans et Ryssa ne saurait donc le porter...

La tête toujours appuyée sur l’épaule de Léon, Ryssa esquissa un sourire amusé quand ce dernier lui demanda si une maison rien qu’à nous signifiait une nouvelle maison. Elle commençait à mieux cerner le jeune homme et fut à peine surprise par sa réponse.

« Oui, c’est exactement ça! Une maison où nous vivrons en paix, loin des conflits… »

Murmura la jeune fille comme pour se convaincre également qu’une telle chose soit possible. Elle était loin la neutre hargneuse et rancunière du début. Enfin en apparence seulement car lorsque Ryssa leva machinalement les yeux autour d’elle, son regard vint se poser à nouveau sur le tronc d’arbre qui avait du voir tant de drames!

A cette vue, les lèvres de la jeune femme se pincèrent et ses doigts se crispèrent sur le dos du kemos. Mais Léon était déjà tombé dans les bras de Morphée et ne sembla pas remarquer le changement de visage de Ryssa. Alors, le vent se leva, apportant avec lui un vent froid. La nuit approchait et avec elle, le danger. Seulement, elle eut beau regarder à droite ou à gauche, Ryssa ne vit rien qui puisse leur servir d’abri. Rien à part…

« L’arbre… »

Fit-elle comme elle venait d’être frappé par un éclair de génie.

« Léon…Debout! »

Ordonna-t-elle en essayant de le secouer pour le réveiller. N’obtenant pas de réponse, elle se mit lentement sur ses pieds tout en tenant Léon du mieux qu’elle put, puis au prix d’un effort surhumain, elle commença à le tirer vers le refuge improvisé. Seulement, le jeune homme pesait son poids. À maintes reprises, Ryssa manqua de se retrouver les quatre fers en l’air. La distance à parcourir était petite mais la jeune fille mit un temps fou à la parcourir en traînant le kemos à demi endormi.

Finalement arrivée à destination, elle introduisit tant bien que mal, Léon à l’intérieur du tronc, sortit une couverture qu’elle jeta sur le corps du dormeur et alla ramasser quelques bouts de bois pour faire un feu. Une fois cela fait, elle alla rejoindre Léon et se pelotonna contre lui. Le sommeil ne tarda pas et Ryssa rêva de maison chaleureuse, de son jeune frère, de kemos et de son nouvel ami: Léon.



(Fini pour moi, soit on continue ensemble ailleurs, soit on poursuit chacun sa route! ^^)